Est-ce que ce possible de décrire très brièvement le sujet de l’onzième film de Robert Altman ? Les vies de 24 personnages s’entrelacent en peloton serré dans la capitale de la musique country – la ville Nashville. Quelqu’un, comme Tom Frank (Keith Carradine) ou Martha (Shelley Duvall), essaye d’enrichir sa vie sexuelle à l’aide de partenaires occasionnels. Quelqu’un, comme un chanteur Haven Hamilton (Henry Gibson) essaye de réaliser ses ambition politique. Quelqu’un, comme Barbara Jean (Ronee Blakley), veut juste chanter pour ses fans, mais est forcé de passer la plupart du film dans le lit. Quelqu’un, comme Winifred (Barbara Harris), a du talent à chanter, mais a besoin de chance pour se faire connaître. Quelqu’un, comme Sueleen Gay (Gwen Welles), n’a pas de talent, mais est prêt à aller à toute humiliation pour monter sur scène. Certains personnages ont des tâches très simples : de mener adéquatement sa femme dans le dernier voyage (Mr. Green joué par Keenan Wynn), de tuer une star pour devenir célèbre (Kenny Frasier joué par David Hayward) ou simplement d’assister à un concert de Barbara Jean (Pfc. Glenn Kelly joué par Scott Glenn). Enfin nous avons une journaliste Opal (Geraldine Chaplin) qui essaye de trouver l’essence de Nashville en tournant le film documentaire pour BBC et Tricycle Man taciturne (Jeff Goldblum) qui n’est nécessaire que pour créer des connecteurs narratifs.
C’est incroyable, mais Robert Altman, le seul lauréat américain de trois prix majeurs de trois festivals européens les plus grands, n’a obtenu aucun prix majeur pour son meilleur film, pour son magnum opus. De comparer «Nashville» à la plupart de grands films, c’est de comparer «Le Combat de Carnaval et Carême» par Pieter Brueghel à «La Joconde». Très peu de films peuvent nous donner telle immense peinture de la vie et encore moins de réalisateurs peuvent tourner ce tableau. Manque de héros principal donne à Altman la possibilité de se concentrer sur la société dans son ensemble tandis qu’un script fort et cohérent ne donne pas au spectateur la possibilité de s’ennuyer. Seulement à première vue «Nashville» ressemble à une longue comédie musicale consacrée à la musique country et aux affaires de cœur. La célébration du bicentenaire des États-Unis à venir incorporée dans le sujet et réclamée dès les premières images, couplées avec le drapeau des États-Unis en plein écran en finale du film indiquent clairement un niveau élevé de prétentions de l’auteur. «Nashville» n’est pas une satire sur les chanteurs amateurs, «Nashville» est une satire sur toute la population du pays, une sorte de résumé de l’histoire du bicentenaire d’un État démocratique et multinational. Dans ses films plus ou moins polyphoniques Altman se moquait toujours de quelque chose : les relations sexuelles et l’institution moderne du mariage dans «Short Cuts», Hollywood dans «The Player», le monde de la mode dans «Prêt-à-Porter». Mais jamais Altman a pris une telle échelle comme dans «Nashville» où l’auteur mélange telle quantité de personnages : du candidat à la présidentielle (qui n’est jamais vu par le spectateur !) à un chanteur – hommes à succès, d’une serveuse à une vedette de la scène. En dessinant le pays de vanité où la taille de sein peut être plus importante que le talent et la participation à une chorale chrétienne n’empêche pas l’adultère, Altman ne même prétend pas d’avoir un point de vue neutre. «Nashville» est une satire convenablement mordante, réussie précisément parce que Altman ne se concentre pas sur une histoire privée mais nous offre un regard polyphonique.
Le style de réalisation permettant à Altman de créer cette polyphonie est complexe et unique. Pour transmettre la réalité pseudo-documentaire le réalisateur donne beaucoup de liberté aux acteurs qui peuvent développer leurs personnages eux-mêmes, improviser les dialogues et écrire les chansons. Les dernières prennent environ 50 minutes de temps d’écran mais ces chansons amateures ne sont pas ennuyeuses du tout, parce que premièrement chacune devient une caractéristique de personnage et deuxièmement Altman profite des chansons pour nous donner une galerie des portraits de spectateurs qui lui permettent d’étendre la couverture au-delà des personnages principaux. «Nashville» est un film trop volumétrique pour que l’on puisse le comprendre dans une vue. Altman jongle avec deux volumes cinématique – celui-ci du son et celui-ci de l’image. 24 (25 avec le candidat à la présidentielle qui n’est pas visible mais audible) personnages ne seulement créent eux-mêmes un monde polyphonique mais de plus ils parfois parlent en même temps. Bien-sûr, Altman utilise le son multicanal qui va révolutionner le cinéma dans les années 1970. Au niveau de l’image le réalisateur a deux instruments principaux : le zoom et le format écran large. Le premier permet de montre que chaque détail est en réalité une partie intégrale d’un tableau plus large (comme d’habitude Altman utilise zoom-out dans «Nashville», allant du privé au général). L’écran large peut être rempli par la multitude de personnages aux niveau différents de mise-en-scène. Cette technique nous force à constamment faire notre choix parce qu’au cinéma nous ne pouvons ni écouter deux personnages en même temps ni les suivi nos yeux. Cependant, cela ne suffit pas pour un réalisateur inventif et courageux. De plus Altman utilise activement les miroirs et les verres non seulement pour séparer les spectateurs des personnages et créer un volume spatial mais aussi pour créer les images ou les espaces se superposent si fortement qu’il est très difficile parfois de comprendre la mise en position scénique des personnages (e. g. la scène première dans un studio d’enregistrement qui vaut tout le film).
Au niveau du langage de cinéma Altman nous montre l’inconnaissabilité du monde dans son intégralité, mais on peut toujours du moins essayer de s’approcher de cette frontière en restant dans le cadre d’un seul film, pas vrai ?