Dans son film avant-dernier, Éric Rohmer aborde un sujet historique. Il raconte l’histoire un peu modifiée de l’enlèvement du général des Armées blanches Evguéniï Miller (appelé dans le film général Dobrinsky et joué par Dimitri Rafalsky) par un double agent Nikolaï Skobline, un autre ancien général russe ayant émigré en France après la révolution (appelé Fiodor Voronin et joué par Serge Renko). En 1937, Fiodor habite à Paris avec sa femme grecque Arsioné (Katerina Didaskalou). La guerre approche, le gouvernement français tourne rapidement à gauche. Prudent et circonspect, le héros évite des conversations politiques avec ses proches et se méfie de ses voisins communistes. Il travaille dans une association tsariste de militaires russes blancs près de général Dobrinsky. Un jour, Arsinoé, aimant aveuglément son mari et lui faisant toute confiance, apprend par hasard qu’au lieu de Bruxelles, son mari, en fait, est allé à Berlin. Arsinoé soupçonne son mari d’avoir des liens avec les nazis, mais la vérité et le châtiment de la confiance s’avéreront plus terribles…
Ce beau thriller d’espionnage se déroule dans le style des meilleurs romans de John le Carré qui ne s’intéressait qu’aux émotions cachées de ses agents froides qui doivent souvent sacrifier des êtres chers. Au lieu du suspense de filatures et d’enlèvements, Rohmer se concentre sur les dialogues statiques de Fiodor où chaque mots peut être un mensonge. La caméra statique et neutre de Rohmer nous oblige à tirer des conclusions de manière indépendante et à analyser nous-même le comportement du héros sophistiqué et élégant de Serge Renko (parfois il parle russe, et pour les russes se sont les moments les plus drôles du film, parce que tous les autres acteurs, qui parle russe, fait ça sans accent). Evidemment, le réalisateur veut nous mettre en place d’Arsinoé, une douce femme au foyer, une peintre amateure qui au début ne veut pas et puis ne peut pas plonger dans le travail difficile et dangereux du mari. À propos, en réalité, la femme de Skobline était la célèbre chanteuse russe Nadejda Vinikova. Rohmer voudrait pousser ses héros de parler français chez eux, et il a changé la nationalité de l’héroïne.
Bien que le film soit rempli par les dialogues et presque par seulement les dialogues (parfois lourds en termes de nombre de faits historiques et de noms mentionnés), il est très dynamique. Rohmer saute facilement d’une scène de l’autre au milieu du dialogue et une quinzaine de fois il utilise les titres indiquant le mois et l’année de l’action. En outre, le réalisateur crée l’esprit de l’époque en réunissant ses cadres de fiction avec des cadres de vraies actualités des années 1930. En effet, il tourne une chronique, une chronique intime qui nous permet d’entrer l’appartement du héros et qui nous donne la possibilité de résoudre le secret de cet espion en lisant les moindres changements dans les émotions.
Le film est un peu démodé du point de vue du langage cinématographique (e. g. il est tourné en aspect académique), néanmoins cette histoire triste des temps d’avant-guerre a du charme esthétique.